On lui avait toujours dit d'être patient, de ne pas aller trop vite quand il chassait, et de s'adapter au rythme de sa proie. Pour réussir dans la vie, il valait mieux être un parasite qui connaissait parfaitement celui qu'il empoisonnait qu'un gros balourd d'ours qu'on voyait venir de loin. Subtilité et calme, tels étaient les maîtres mots de la discipline dans laquelle Dražen était devenu un expert. Avec de la persévérance et un abandon de soi, on pouvait obtenir tout ce qu'on voulait. Absolument tout. Pourtant, ça ne marchait pas sur cette île. Avez-vous déjà essayé de séduire un automate ? Vous n'arriverez à rien, il ne sera pas sensible à vos avances. Dražen avait essayé, pourtant. Un sourire par ci, une suggestion par là, tout cela pour ne rien obtenir. Juste un regard vide et une bouche qui répétait inlassablement la même chose. Comment pouvait-il percer le mystère de cette île si ses armes ne lui servaient à rien ? Il expérimentait le goût amer de l'impuissance, goût qu'il s'était juré de ne plus ressentir. Il ne pouvait peut-être pas s'élever par la seule force de son intelligence, mais il pouvait se servir de son corps comme d'une arme. Et voilà que cela le lâchait. Cependant, le jeune homme n'abandonnerait pas, cette fois. Cela faisait trop longtemps qu'il n'avait pas été le prédateur, et même s'il s'était juré de devenir honnête, quand il avait accepté à son poste bien payé, il devait reconnaître que la fin justifiait les moyens. Bon. Alors il devait le faire, ne serait-ce que pour se prouver qu'il en était capable. Cela ne pouvait pas être aussi difficile de devenir président de la Croatie, n'est-ce-pas ? Alors il en était capable. Restait juste à trouver le moyen d'obtenir ce qu'il désirait ; malheureusement, la réflexion n'était quand même pas son fort. Il avait le malheur de ne pas savoir quoi faire dès lors qu'il ne pouvait plus séduire quelqu'un. Juste tenter comme une grosse brute de réussir.

… Bon, il allait l'ouvrir, ce foutu paquet de biscuits ?!

Franchement, penser que le réel lui résistait à ce point, et l'empêchait de savourer ces délicieux biscuits. Enfin, délicieux, il n'en avait jamais goûté, il ne pouvait pas dire. Mais il était prêt à reconnaître qu'ils étaient bons, pour peu qu'on acceptât de le laisser en manger un peu. Juste un biscuit. Était-ce trop demander ? Il avait déjà exprimé des souhaits beaucoup plus exigeants, et ils avaient été réalisés. Alors ouvrir un paquet de biscuits, ça ne devrait pas être compliqué. En temps normal, il aurait utilisé son couteau suisse, mais on le lui avait enlevé. Depuis, il se sentait désespérément faible. Même pas une petite paire de ciseaux pour faire son œuvre, alors il se contentait de tirer sur l'emballage. Et le pire arriva : le papier se déchira, et les beaux biscuits s'envolèrent avant de se briser en mille miettes sur le sol. Dražen hurla de frustration. « Non mais c'est pas vrai ! Me faire ça à moi ! » Il allait continuer à vociférer comme un imbécile quand il aperçut du coin de l'œil un mouvement. Se retournant, il aperçut un homme qui le regardait attentivement, sans doute en train de se demander qui était cet idiot qui ne savait pas ouvrir un paquet de biscuits, et s'énervait parce qu'il avait commis une catastrophe. Le jeune homme avala sa salive et se calma en un rien de temps. Il arbora une expression de défi, un sourire narquois sur les lèvres qui le rendait paradoxalement plutôt séduisant auprès de quelqu'un qui s'intéressait aux personnes comme lui. Pour les autres, c'était juste le visage de Timarque. « Bonjour, vous, vous avez un problème ? Si vous vous êtes perdu, je suis désolé mais je ne peux pas vous aider, je ne connais pas le château. » Il avait l'air d'être totalement assuré, même si au fond de lui, il se sentait en colère contre lui-même. Oublier qu'on pouvait le voir ! Se laisser aller à ses émotions les plus primaires dans un lieu public ! Vraiment, ça n'allait pas : jamais il n'aurait commis une erreur aussi grossière auparavant. Cette île devait l'affecter plus qu'il ne le pensait.