Il est onze heures. J'entends la petite camionnette du facteur qui vient déposer mon courrier. Je guette son départ derrière la vitre du salon, caché derrière le rideau en satin. Lorsque le véhicule ne devient qu'un point jaune dans le fond de l'allée, je sors chercher les multiples lettres et les prospectus divers. Tout en rebroussant chemin, je commence à consulter quelques enveloppes avant d'aller m'installer sur la table de la salle à manger. J'éloigne les factures, les laissant pour plus tard. Je jette un léger coup d’œil aux pubs que les magasins m'envoient, sans grand intérêt. Soudain, une lettre attire mon attention. Une jolie lettre argentée, fermée par un cachet de cire cerné par un ruban doré. Je me dis qu'il y a surement une erreur mais pourtant, j'aperçois mon nom et mon adresse. Cette lettre m'intrigue. Je l'ouvre sans plus attendre et lis à voix haute, comme à mon habitude.
« Madame Elizabeth Lodge, veuillez lire cette lettre dans son intégralité. Ceci n'est en aucun cas une farce, une arnaque ou quoi que ce soit d'autre. Il s'agit là d'un avertissement. Prenez ou non au sérieux celui-ci, à vos risques et périls. »
Je m'arrête sur une phrase, juste en dessous, centrée et écrite en majuscules. Il s'agit d'une phrase latine, je tente de la lire en faisant attention à la prononciation.
Je n'en crois pas mes yeux. Les lettres semblent s'illuminer. Je me dis que je n'ai surement pas assez dormi mais pourtant, cette faible lumière attire ma curiosité. Celle-ci s'estompe au bout de quelques secondes pour me laisser finir de lire la lettre.
« Désormais, vous êtes en danger. Croyez-le ou non, vous risquez d'être pris pour cible. Il n'y a qu'un lieu qui puisse vous sauver. Pour vous y rendre, rien de plus simple : d'ici vingt-quatre heures, vous allez recevoir une seconde lettre avec les indications nécessaires pour rejoindre ce lieu. Nous ne pouvons pas vous en communiquer davantage pour le moment. »
Je ne sais pas dans quoi je me suis embarqué. Je pense que s'il n'y avait pas eu cette étrange réaction après la lecture de cette fichue phrase, je n'aurais pas cru en ces mots. Pourtant, je commence à être inquiète. Je cogite toute la journée, essayant de me persuader que se n'était qu'une hallucination de mon esprit.
À mon réveil, je consulte l'horloge avec inquiétude. Onze heures. Je prends une grande inspiration et observe par la fenêtre le facteur. Je ne le laisse pas terminer que déjà, je me rue hors de chez moi, en peignoir, lui quémandant la lettre. Il fut assez surpris mais me la tendit. Je déchire le papier sans plus attendre et écrit les coordonnés sur mon bras.
« Rendez-vous à Greenport, plus précisément au port de Greenport. Longez celui-ci. A son bout, trouvez l'embarcation N°186, Aer. Montez dans l'embarcation et laissez-vous porter par les vagues.»
Je ne sais pas si je dois faire confiance à de simples indications. Greenport se trouve à environ deux heures et demie de New York. Je n'ai rien à perdre. Je prends un sac, y mets quelques affaires, me prépare et prends la route. Je me sens idiote de croire à ça mais j'ai peur.
J'arrive à Greenport, suis les indications et tombe sur une petite plaque de cuivre avec inscrit : "Aer, n°186." C'est une petite barque en bois, surement peu solide. Je pose d'abord mon sac pour voir si l'embarcation tient le coup. C'est apparemment le cas. J'y mets une jambe, puis l'autre et m'installe. Ensuite, je retire le nœud qui l'attache et soudainement, la petite barque s'emballe et commence à avancer. Je suis prise de panique. Il n'y a pas beaucoup de vagues et pourtant, nous allons vite. Je m'accroche à mon sac, de peur de chavirer. Au bout de quelques minutes, j'ouïs un son de cloche. Une douce mélodie qui résonne dans mes oreilles. Je sens mes paupières s'alourdir. Je lutte pour rester éveillée mais rien n'y faisait, je m'endors.
Je reprends connaissance lentement, me redressant en observant autour de moi. Une plage, simple. Je me relève, la barque est à côté de moi. Je prends mon sac et avance de quelques pas. Je ressens une légère douleur au bras, comme après une piqûre. Je relève la manche et inspecte un petit point rouge placé sur une veine proéminente. Je ne prête pas vraiment attention à ce qui est pour moi un léger détail à ce moment-là. Inspectant l'horizon du regard, j'aperçois une pancarte où est inscrit :
"Vous êtes bien arrivé à destination."