Mais... qu'est-ce que je fous là ? Le jeune Croate regarda attentivement autour de lui, et soupira. Cet endroit lui était complètement inconnu, il était certain qu'il ne s'y était jamais rendu jusque là. Il devait se rendre à l'évidence : il n'avait pas la moindre idée de l'endroit où il se trouvait, ni comment il allait pouvoir rejoindre Ériel et son cher château. Le jeune homme s'affaissa légèrement, et se laissa glisser le long d'un mur. Bon... récapitulons, comment ai-je pu en arriver là ? Il ferma les yeux et essaya de se souvenir de ce qu'il avait fait. Tout avait commencé... longtemps avant ? Non, cela ne devait faire en fait que quelques heures, même si à ses yeux, c'était une éternité. Une histoire stupide de miroir. Ah oui, c'était cela. Dražen avait entendu parler de cette histoire de miroir et de monde parallèle. Bien entendu, il n'y avait pas cru. C'était aussi stupide que cette histoire de don, parce qu'il n'en avait pas - ou du moins, il croyait ne pas en avoir, car il s'en servait sans même s'en rendre compte. Voilà pourquoi il avait fait le test, et s'était retrouvé de l'autre côté. Bon, d'accord, j'ai suivi des conseils moisis et je me suis retrouvé loin de mon nouveau foyer... Cela dit, pourquoi me suis-je éloigné ? Ce n'était pas le genre du Croate de tenter l'aventure, pourtant. Il avait cru, cependant, qu'en parcourant cet endroit, il trouverait peut-être un moyen d'échapper à cette île infernale. Il tenait toujours à devenir le président de son pays natal, c'était son vœu le plus cher. Mais, pour y parvenir, il devait s'intégrer à la vie politique croate. C'était logique, on ne devenait pas président du jour au lendemain. Il avait toujours été quelqu'un de très déterminé, prêt à tout, y compris à se vendre, pour obtenir le pouvoir. Voilà pourquoi il s'était éloigné, et avait marché pendant des heures, explorant un château avant de descendre dans les souterrains. La soif avait fini par le tenailler, mais il avait continué sans relâche, jusqu'à ce qu'il commençât à se sentir épuisé, et songeât qu'il pouvait toujours retourner à Eriel, où il prendrait des forces et se constituerait des provisions avant de repartir à l'assaut de ce monde. Oui, mais voilà, je me suis perdu... Dražen rouvrit les yeux. Il était hors de question pour lui de se laisser aller. Il trouverait le moyen de retourner à Eriel, ou il mourrait en... euh, non, il trouverait le moyen de retourner à Eriel. Il n'avait pas le choix. Il sortit son miroir de poche et son peigne de son sac-banane pour se recoiffer, puis se sentant tout à coup beaucoup plus maître de lui-même, il reprit courage et commença à avancer dans le souterrain.

Le jeune homme fut à nouveau confronté à plusieurs intersections. Il s'arrêta un instant pour réfléchir et essayer de déterminer lequel des chemins il devait prendre. C'était difficile, car ils se ressemblaient tous, et il pouvait très bien tourner en rond. Il n'était pas sûr que l'astuce habituelle dans les labyrinthes fonctionnaient ici... d'ailleurs, il était incapable de se rappeler de l'astuce. Fallait-il tourner à gauche ou à droite, au fait ? Bon, peu importait, parce qu'il y avait plusieurs voies à sa gauche, et plusieurs à sa droite. Le jeune homme resta un moment à essayer de trouver le moyen de trouver le bon chemin. Au pire, il lui faudrait faire comme dans les contes et marquer le chemin qu'il allait prendre, au cas où il y repassait. Malheureusement, il n'avait rien pour le faire. Soudain, il entendit un bruit lointain, comme des pas, qui provenait de l'un des chemins. Soit c'était une autre personne qui était aussi perdue que lui, soit c'était un ennemi, et il risquait sa peau. Mais qui ne tente rien n'a rien, alors vas-y, Dražen. Il emprunta donc ce chemin en avançant précautionneusement. Le jeune homme suivit le bruit aussi bien qu'il le put, parce qu'il avait une ouïe normale ; il lui arrivait de perdre sa piste, mais il finissait par la retrouver. Il finit par s'approcher de la personne qui faisait ces bruits de pas, qu'il voyait de dos. Comme c'était apparemment un humain en chair et en os, et pas un monstre tel que Dražen en avait imaginé, il soupira et l'appela : « Hé oh, je cherche la sortie. Tu saurais pas où elle est ? » Dražen ne brilla pas par son intelligence, en prononçant une question aussi stupide. C'était surtout une manière d'annoncer ses intentions à l'inconnu, et de lui montrer qu'il ne lui voulait pas de mal, même s'il le surprenait. Au même moment, il entendit le bruit de pas d'une seconde personne qui s'approchait.

Dražen évalua rapidement la situation. Il était perdu dans un labyrinthe souterrain et n'avait pas la moindre idée de son issue de secours. Face à lui, une, bientôt deux personnes. Des personnes qui savaient peut-être où aller, ou qui l'ignoraient. Il n'avait rien à perdre à aller leur adresser la parole et à leur faire confiance, après tout. Il remarqua alors qu'il avait affaire à deux femmes, chose qui ne lui parut pas particulièrement déstabilisante : homme, femme, c'était pareil après tout quand on voulait obtenir quelque chose. A sa question bête, la première lui sortit une réponse bête et méchante que Dražen aurait dû prévoir. Il sourit, essayant de désamorcer la méfiance qu'il lisait dans ses yeux. Elle aurait eu raison de se méfier, en d'autres temps, quand le Croate n'était pas encore quelqu'un de sûr et ne pensait qu'à ses propres intérêts ; mais à présent, il s'était rangé, et quand il faisait des promesses... bon, il ne les respectait pas toujours de façon systématique pour autant, mais cela lui arrivait. Parfois. C'était quand même un progrès par rapport à son ancienne personnalité d'opportuniste. A présent, s'il disait à la jeune femme qu'il comptait bien les sortir de cette situation, on pouvait supposer que c'était à peu près vrai. « Tu marques un point. » Il jeta ensuite un coup d'œil à l'autre demoiselle, avec le même coup d'œil évaluatif que le paysan qui cherche à acheter un bœuf pour tirer sa charrue. Son sourire ne quittait pas ses lèvres, sourire doux qui se voulait rassurant et contredisait la dureté de son regard bicolore. Visiblement, elle était aussi perdue qu'eux, et son juron était assez révélateur de son standing - selon Dražen, évidemment. Deux visages dont il se souviendrait peut-être plus tard. La première mentionna l'hypothèse d'un rendez-vous secret et, l'espace d'un instant, Dražen se demanda si cette rencontre n'avait pas été planifiée par quelque autorité cachée de l'île, qui essayerait de se faire passer pour la transcendance divine et masquer le plus possible le mécanisme de ses artifices. Auquel cas, ce serait bien pensé, une véritable œuvre de maître. Le jeune homme rejeta cependant cette hypothèse pour une raison toute simple : personne n'était assez intelligent pour penser à un plan aussi génial, à part lui bien sûr. Même si ceux qui l'avaient attiré sur cette île s'y étaient très bien pris, et que Dražen ne voyait toujours pas la raison de sa présence en ces lieux, il était persuadé que ce n'était qu'une question d'erreurs qu'il avait pu faire plus jeune. C'était ça, ou trembler de peur à l'idée qu'il n'était peut-être pas le manipulateur qu'il avait toujours ambitionné de devenir. « Non, j'en doute, juste un sacré bon hasard. Et ma chance par la même occasion. Par où vous venez, toutes les deux ? Il vaudrait mieux qu'on essaie de trouver un chemin qu'on n'a pas encore exploité, si c'est possible... » Son sourire s'élargit, se fit beaucoup plus confiant, presque arrogant. Dražen observa un instant les différentes intersections, comme s'il étudiait les différentes possibilités qui s'offraient à eux... mais c'était en réalité une question d'apparat. Le Croate préparait sa mise en scène, car même dans des situations désespérées comme celle-ci, il se devait de donner une bonne image de lui-même, pouvoir se servir de sa réputation et des premières impressions qu'il laissait pour manipuler son auditoire. Évidemment, ça risquait de se retourner contre lui. Une fois qu'il estima avoir assez bien joué, il posa à nouveau son regard sur ses camarades d'infortune et lança d'un ton désinvolte savamment dosé : « Au fait, moi, c'est Dražen. » Puis il les dévisagea, prêt à étudier leurs différentes réactions face à son petit manège stupide.

Dražen avait espéré les éblouir. Oui, c'était bête de sa part, alors qu'il était perdu, de désirer encore plaire et de faire son petit numéro. C'était dans sa nature. Il ne pouvait envisager de s'en sortir s'il n'était pas maître de l'image qu'il renvoyait aux autres. Même s'il était un peu inquiet et pas totalement assuré, il devait avoir l'air sûr de lui. Parce que sinon, sa fierté ne s'en remettrait pas. Les deux demoiselles n'avaient vraiment pas de chance d'être tombé sur un type comme lui, aussi narcissique et superficiel. Il leur aurait même fait un clin d'œil, s'il n'avait pas pensé que cela aurait trop pour elle. La première ne semble pas vraiment réagir à son petit numéro. Elle donne juste son prénom, Abby. Dražen fronce légèrement les sourcils. Il semblerait que cette démarche n'était pas la plus efficace avec elle. Il se pouvait même que cela l'agaçât, ce qui était tout le contraire de l'effet que cet imbécile recherchait. Bon, du côté d'Abby, c'était un échec. Elle se rapprocha de la seconde, qui se présenta à son tour : Kera. Abby et Kera. Deux jolis prénoms. Dražen réfléchit. Le premier, celui de la jeune fille, était très certainement anglo-saxon. Il était moins sûr pour le second, celui de la jeune femme, mais ce n'était pas impossible. Il discerna une nuance dans leur personnalité : Kera semblait moins agacée par lui, ou peut-être était-ce qu'elle le cachait mieux. Vu leur différence d'âge, ce n'était pas impossible. Enfin, s'il pouvait au moins obtenir un sourire sincère de l'une d'elles - en plus de sortir -, cela lui plairait bien. Kera pris l'initiative et demanda si quelqu'un avait quelque chose pour marquer les murs. Les yeux de Dražen s’étrécirent légèrement. « Je n'ai rien pour le faire, sinon, il y en aurait déjà sur les murs. » Il ne savait pas pourquoi, il n'aimait pas trop la question de Kera. C'était comme si elle avait consciente de l'ampleur de l'inutilité de Dražen, et qu'elle pourrait très bien se débarrasser de lui si elle en avait envie. Il fallait être honnête : malgré tous les efforts du jeune homme, le capital sympathie d'Abby était largement plus élevé que le sien. Dražen se redressa et ajouta : « Mais je suis certain que je peux me montrer utile. » Il y avait une légèrement hésitation dans sa voix, presque imperceptible mais bien présente. Utile, hein ? Ce serait une première. Dražen n'avait jamais été vraiment utile qu'à lui-même, après tout.

Dražen avait conscience que, pour les deux femmes, il ne serait très certainement qu'un poids inutile. Tout ce qu'il pouvait leur proposer ne les intéressait pas, et n'avait aucune utilité au vu de leur situation. Pour la première fois, il avait l'impression de se sentir impuissant, et c'était extrêmement désagréable. Il avait toujours voulu garder le contrôle sur sa vie, prêt à faire tout ce qui était nécessaire pour cela, mais il devait l'admettre : il était faible. Il ne servait à rien, sinon à les gêner, et il n'avait même pas assez d'altruisme pour arrêter de leur imposer sa désagréable présence. Non, tout ce qu'il pouvait faire, c'était suivre le mouvement. Se servir d'elles pour retrouver son chemin, et ensuite, les oublier, elles et sa honte. Abby tendit son ruban, et Dražen se tut, préférant ne pas lui faire remarquer que c'était dommage de déchirer un si bel objet, et qu'il serait bien mieux dans ses cheveux, ou autour de son cou... Elles seraient capables de rire de sa volonté désespérée de reprendre un peu d'estime, alors qu'il était, au final, plutôt ridicule. Kera avait un marqueur dans son sac pour compléter. C'étaient bien des femmes : elles avaient toujours quelque chose d'utile sous la main, car elles avaient l'habitude d'emporter un sac à main. Alors que Dražen, lui... il avait un miroir, cela lui suffisait. Kera avait pris les devants, et Dražen ne contesta pas son autorité. Il sentait que cela aurait été aberrant, et calculateur comme il l'était, il se disait que garder profil bas serait l'attitude la plus rentable dans l'immédiat.

Quand Kera sortit sa lampe de poche, Dražen soupira et continua d'avancer, la rejoignant alors qu'elle s'était arrêtée. Il leva un instant la main et frôla ses cheveux. « Bonne idée. » : souffla-t-il avant de continuer d'avancer comme si de rien n'était. Certes, dans la mesure où elle n'éclairait pas encore le chemin devant eux, il ne voyait pas grand-chose, mais cela lui était égal. Soudain, il lui sembla que son pied enfonça un pavé un peu trop profondément. Un léger clic se fit entendre et, instinctivement, Dražen se rejeta en arrière... comme s'il voulait défendre les deux demoiselles. Une grimace apparut sur son visage quand il s'en rendit compte. Puis il leva les yeux, et s'aperçut qu'un mur leur faisait face. Sur le mur, il y avait quelque chose gravé au couteau, sans doute les traces de quelqu'un qui avait lui aussi cherché à s'en sortir. Avait-il réussi ? La peau de Dražen devint moite quand il comprit que les murs pouvaient bouger. Il baissa le regard et vit que le pavé qu'il avait enfoncé était différent des autres. Comme s'il avait été moins érodé, plus solide, alors qu'il leur ressemblait autrement. « Hm... désolé. Je crois que cet endroit est une impasse. Faîtes attention à l'endroit où vous posez les pieds, qui sait ce qui va se passer la prochaine fois ? » Il désigna du doigt le pavé qu'il avait enfoncé, puis se releva, et décida de reprendre la marche. « On prend à droite, cette fois ? »